Par Mathys Le Pauder, 5 octobre 2022.
La richesse des thématiques évoquées dans Sans filtre et leurs pertinence dans l’intrigue, mené par une réalisation infaillible, est admirablement bien traité de manière à pouvoir se moquer de tout et de tous sans aucun complexe.

Sans filtre, primé de la palme d’or à Cannes pour la deuxième fois (The Square2017) en août dernier, est le cinquième film du réalisateur suédois Robert Östlund et son premier film en anglais. Le film suit un couple de mannequins qui rejoint une croisière et où les événements prennent alors une tournure inattendue.
Dans ce métrage en trois parties, Robert Östlund émet une satire et une critique du monde actuel, de la société de consommation, du conformisme, des réseaux sociaux, des classes sociales, des genres, du pouvoir… Le film propose donc de nombreuses sources de réflexion sur une variété de thématiques sociales et sociétales actuelles.
La manière dont les rapports de force sont inversés est formidablement bien maîtrisée. La satire est bien ficelée et non abjecte et grossière. En effet, le film ne se contente pas simplement de critiquer le patriarcat ou le capitalisme en prenant un parti pris. Il dégomme tout ce qu’il y a sur son passage sans aucune exception, en s’attaquant aussi -plus modérément- au “matriarcat” par exemple. Le film n’a pas de filtre apparent, ne faisant aucune distinction. Tout le monde en prend pour son grade.
C’est justement cela qui est jouissif à regarder. Robert Östlund dépeint ce monde “filtré” en le rendant totalement chaotique. Ainsi, ceux qui vivent constamment avec ces filtres ne pourront pas s’adapter à la réalité -tout le propos dans la dernière partie-. Ce chaos, amené par l’arrivée visuelle dans l’intrigue du commandant de croisière joué par Woody Harrelson, communiste confirmé, indique le bouleversement qui se prépare. Le communisme rencontre le capitalisme sur un yacht de luxe à 250 millions de dollars -pour reprendre une citation du film-. A ce moment présent, c’est déjà le début de la fin.
“Avec Sans filtre, la superficialité des actions et des comportements est critiquée et tend, au fur et à mesure du film, à être retirée et remplacée par un réalisme et une intimité qui rendent les personnages plus attachants ou du moins plus profonds.”
La réalisation est excellente et en adéquation avec le propos et l’intrigue. Les plans sont d’une esthétique remarquable, notamment ceux de la première partie qui se déroule dans le monde de la mode. En effet, on nous plonge directement dans ce monde superficiel -en l’occurrence la mode- en démarrant d’emblé avec une interprétation de filtres jouée par des mannequins dont celui interprété par Harris Dickinson, dont la performance tout au long du film est impressionnante. On remarque tout de suite la qualité du jeu de l’acteur britannique qui entraîne avec lui une certaine nonchalance plutôt charismatique. Il crève l’écran en étant authentique et superficiel à la fois.

On assiste aussi, dans l’ensemble du film, à de nombreuses séquences hilarantes et plutôt inattendues. Que ce soit la séquence de la note du restaurant ou celle de la tempête qui est mémorable de par son intensité et sa force, initié par le propos du milliardaire russe : “Je vends de la merde”, à comprendre au sens propre et figuré.
Robert Östlund critique donc les “filtres” que les individus ont en eux. Ainsi, avec Sans filtre, la superficialité des actions et des comportements est critiquée et tend, au fur et à mesure du film, à être retirée et remplacée par un réalisme et une intimité qui rendent les personnages plus attachants ou du moins plus profonds.
En étant un bijou d’inventivité et de sarcasme, Sans filtre, de Robert Östlund est pour le moment le meilleur film de l’année que j’ai visionné.
Mathys Le Pauder, 5 Octobre 2022

Titre : Sans filtre (VO : Triangle of Sadness)
Réalisation : Robert Östlund
Scénario : Robert Östlund
Chef Opérateur : Fredrik Wenzel
Acteurs principaux : Harris Dickinson, Charlie Dean, Woody Harrelson…
Note du rédacteur :

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